Henry Van de Velde over Peter Benoit

Henry Van de Velde leerde Peter Benoit kennen via zijn vader. Van de Velde sr., een apotheker, was actief in de Antwerpse concertvereniging Société de Musique, waarvan Benoit sinds 23 december 1867 de dirigent was. In zijn memoires schrijft hij:

‘Quoi avait pu me conduire à m'imaginer que je pourrais être, un jour, un compositeur conduire un orchestre et gesticuler devant un pupitre ? Suffirait-il que j'eus pu voir Peter Benoit en habit de soirée, rejeter fébrilement de droite à gauche les feuilles de grandes partitions, un soir de grands concerts de la Société de musique d'Anvers ?
Fière de son titre métropole des arts, l'élite de la population d'Anvers avait toujours accepté les charges que celui-ci lui imposait. La ville située aux bords de l'Escaut soutenait plus généreusement ses artistes qu'aucune autre ville de Belgique. A ce moment, les membres les plus considérés et les plus fortunés de la colonie allemande, dont l'influence sur le commerce et l'avenir du port d'Anvers s'était rapidement développés, avaient rejoint ceux des grandes familles anversoises et contribuaient largement, en toutes occasions, aux frais des manifestations artistiques organisées dans la métropole.
Parmi celles-ci, les festivals qui se succédèrent durant les dernières années du siècle dernier et dont l'organisation était confiée à la Société de musique et à son chef d'orchestre attitré, le compositeur flamand Peter Benoit, comptaient parmi les festivités artistiques les plus imposantes. Les festivals Gounod, Liszt, Berlioz et Wagner rivalisèrent avec ceux qui, à cette époque, attiraient tous les ans dans quelque ville des bords du Rhin, les musiciens et les amateurs de musique de l'Europe entière.
Grâce au rôle réservé à mon père qui se trouvait être le président dans l'organisation de ces festivités, il m'avait été permis quoique bien jeune encore - d'assister aux répétitions des chœurs et de l'orchestre.
Rien n'eut pu enflammer mon imagination si les exploits cynégétiques de fanfaron du second élève pharmacien et les visions fabuleuses du pays de cocagne n'avaient, durant les années de ma tendre enfance, suspendu mon être aux lèvres de ces mystificateurs, rien n’eût pu m'hypnotiser plus que les fastes impétueux du thaumaturge qui, par la seule puissance de sa volonté contenait, libérait et soulevait des masses instrumentales et vocales aussi considérables que celles qui s'étaient massées aux pieds de ce seul homme.
Peter Benoit fréquentait assidûment notre maison. Il manifestait un bienveillant intérêt à mes études musicales. Jusqu'à ce moment je n'avais eu que des leçons de piano et quelques-unes de solfège. Il s'était plu à plusieurs reprises à s'asseoir à mon côté et à jouer la partie de basse de quatre mains dont j'avais étudié les premières parties. C'étaient des morceaux composés sur des thèmes choisis dans l'une ou l'autre des partitions de Richard Wagner. L'intérêt que Peter Benoit manifestait pour moi et pour mes progrès, me maintenait dans un état d'exaltation tel qu'il me permit de prendre sur mon frère puiné et mes sœurs, plus âgées, assez d'ascendant pour leur imposer, à tour de rôle, la corvée de tracer des portées sur d'énormes feuilles de papier, aussi grandes que celles des oratoria de Peter Benoit. Je puisais à pleines mains dans la vaste armoire contenant les fournitures destinées à l'emballage des flacons, pots et boîtes destinés aux médicaments prescrits à la clientèle de la pharmacie. Je me fiais à la complicité tacite de Rikske le domestique de la maison 1 pour que mon larcin restât caché à mon père. Le stock de ces feuilles n'était pas moins inépuisable que ma fécondité. Un soir d'hiver, en un moment d'exaltation suprême, je fus surpris au travail par mon père, qui m'apostropha sans égard et d'un geste courroucé lança «ma dernière œuvre» dans le foyer ouvert ou elle fut dévorée aussitôt par les flammes. Je sentis, en ce moment, mon être se glacer, anéanti de voir mon père, - lui l'homme le plus doux de la terre – hors de lui. Ma vocation, si jamais s'en fût une, ne résista pas à ce coup. Ce qu'elle a pu avoir de réel, ne s'est manifesté, dans la suite, que par un goût profond pour la musique dont je fus possédé durant toute ma vie. Je me suis souvent demandé, dans la suite, si le geste qui eut raison de ma jeune vocation fut dû à l'indignation éprouvée par mon père de me voir gaspiller le précieux papier destiné à la pharmacie ou bien - ce qui est plus probable – à l’idiotie qui découvrait mon père de me voir / exercer un art - l’art de la composition - dont je ne possédais pas les plus rudimentaires éléments.’

Ook toen Van de Velde door tussenkomst van zijn vader van zijn muziekroeping verlost was en kunstschilder wilde worden, bleef Benoit hem steunen: toen Van de Velde in 1884 in Parijs wou gaan studeren, gaf Benoit hem verschillende aanbevelingsbrieven mee. Wanneer Van de Velde door ziekte van de naturalistische schilder Jules Bastien-Lepage (1848-1884) niet tot diens atelier kan worden toegelaten, trekt hij met een van Benoits aanbevelingsbrieven naar Auguste Feyen-Perrin (1826-1888) die hem doorverwijst naar Carolus-Duran (1837-1917), toen zeer ‘en vogue’. Benoit had Van de Velde ook introductiebrieven meegegeven voor de schilder Ernest Meissonier (1815-1891) en voor de componist Charles Gounod (1818-1893), een goede vriend en een graag geziene gast in Antwerpen.

‘J’eus recours à une des autres lettres dont m’avait muni Peter Benoit. Celle-ci me recommandait au peintre Feyen-Perrin. Le vieil artiste s’apparentait à cette ‘École du Plein Air’ par le fait qu’il consacrait son estimable et consciencieux talent à la représentation de scènes de la vie des pêcheurs. Il comptait parmi ses peintres français subissant l’influence de ’l’École de la Haye.’
Il m’accueillit avec empressement et me conseilla de me présenter à Carolus-Duran, le portraitiste le plus en vogue, en ce moment, à Paris. L’un des directeurs de la Galerie Georges Petit se chargea obligemment de faire une démarche auprès du maître qui consentit à me recevoir.
Il accueillit ma prière et dès ce moment, je me sentais moins pressé de me présenter aux autres personnages pour lesquels Peter Benoit m'avait largement muni de lettres d'introduction. Si je n'en avais pas fait usage jusqu'à ce moment, c'était en raison de ce que je n'attendais pas d'aussi exceptionnels avantages de ces visites que se le figurait mon généreux bienfaiteur. Je ne parvenais pas à me représenter que des rapports intimes et profitables pourraient s'établir entre un jeune artiste, à peine débutant et des illustres artistes tels que le peintre Meissonnier, le compositeur Charles Gounod, entre autres.

Une vanité, dont j'eus rougi quelques années plus tard me mit en rapport - toujours grâce aux lettres de Peter Benoit avec le peintre Meissonnier, devant les œuvres duquel le public et les amateurs d'art des deux hémisphères se pâmaient d'admiration. A cette époque, la renommée de Meissonnier éclipsait celle de n'importe quel artiste-peintre vivant. Je ne me rendais pas compte que la curiosité qui me décidait à sonner à la porte de l'imposant palais, ou habitait le ‘prince’ de la peinture, reconnu comme tel universellement, était malsaine. J'eus du me rendre compte du ‘ridicule’ de la démarche qui me ferait monter un escalier monumental, précédé d'un valet en livrée, à l'étage où je pourrais approcher le demi-dieu auquel je n'avais rien à dire, encore moins à demander. Quand s'ouvrirent les énormes portes du vaste hall, je vis l'illustre vieillard assis devant le chevalet qui coupait le centre de l'atelier de proportions démesurées.
Le panneau qui se trouvait sur le chevalet était de dimensions minuscules. J'étais frappé du nombre de coupes qui se trouvait sur l'escabeau placé à côté du chevalet et de la disproportion du tableau avec les dimensions d'un atelier qui eut suffi à Rubens et à ses énormes compositions. Je ne me rendais pas compte que cette disproportion n'existait que pour moi et non pour ceux qui, quelque réduite de format qu'elle fut, accordaient à un tableau de Meissonnier l'importance des plus vastes toiles de plus grands artistes des siècles précédents.
Meissonnier était resté toujours assis dans le fauteuil qu'il occupait au moment où j'étais entré. J'étais resté debout. Nous avions parlé de Peter Benoit et j'avais répondu aux questions qu'il m'avait posées sur le choix du maitre que j'avais choisi. Meissonnier, peu disposé à chercher d'autre sujet de conversation, il n'avait plus de raison de prolonger celle-ci. N'avait-il pas satisfait aux obligations que lui imposaient ses rapports avec Peter Benoit et permis à un jeune artiste débarquant à Paris d'approcher son illustre personne ? Je quittai l'atelier sans qu'il eût été question un instant du tableautin. Il ne m'est resté aucun souvenir de ce qu'il représentait. Je n'attendais rien de cette visite. Elle n'a compté pour rien non plus dans ma vie sinon pour me mettre en garde contre un fléchissement dans la ligne de conduite à laquelle il me tenait à cœur de rester fidèle.

Ce ne fut pas la curiosité, ni quelque satisfaction de vanité qui me poussèrent utiliser la lettre qui devait me donner l'occasion de me rendre chez Charles Gounod, compositeur aussi illustre qu'adulé par le public fréquentant les théâtres d'opéras du monde entier.
La gloire de Gounod, le compositeur, se trouvait plus menacée que celle de Meissonnier. La bataille engagée dans le domaine de la peinture était encore loin d'être gagnée par Manet et les Impressionnistes. Tandis que la révolution wagnérienne avait secoué le piédestal où s'était hissé le compositeur de Faust au point de le renverser.
La tragédie de l'artiste illustre existant de son vivant au déclin de la faveur du public me semblait poignante. Et voici qu'il m'était donné d'approcher deux des artistes les plus illustres au moment où ils avaient à se débattre contre le destin qui jusqu'alors leur avait été propice.
Je n'eus garde de laisser soupçonner quoi que ce soit du problème qui plus qu'aucun autre, en ce moment s'attachait à la personnalité - vers laquelle le public voyait l'idole, le demi-dieu que la révolution, le génie qui l'avait provoquée et le miracle de Bayreuth dirigeaient les coups qui visaient la formule et le type du ‘grand opéra’ tels que Meyerbeer, Verdi et d'autres l'avaient connu.
Ma première visite serait ‘d'approche’! En fait en quittant l'hôtel d'allure discrète et digne et de goût sûr, situé dans un des quartiers moins bruyant de Paris, je ne ressentais plus ni gêne, ni timidité.
‘Premier venu’, peut-être importunément, il me semblait en quittant Charles Gounod, que je venais de quitter un haut dignitaire ecclésiastique.
Je l'avais suivi - des regards seulement - durant les nombreuses répétitions auxquelles Gounod assista à Anvers au festival que la ‘Société de Musique’ organisa en son honneur en 1880, et dont le programme était exclusivement à l'exécution de ses œuvres. Sa modestie, ses manières affables avaient conquis les exécutants : les membres de l'orchestre, des chœurs et tous ceux qui de près ou de loin collaboraient à ce festival.
Le vif intérêt que je gardais à la musique et le charme qui avait exercé sur moi - à distance - l'impressionnante douceur et la bienveillance émanant de sa personne, la qualité si foncière de son inspiration musicale me dévoilaient la tragédie des compositeurs de la taille de Gounod en France, de Verdi en Italie et de Meyerbeer en Allemagne,* spectateurs de l'effondrement de la formule et du type de grand opéra, dont ils avaient été les plus éminents fournisseurs, sous la poussée irrésistible des formules et du type des drames lyriques de Richard Wagner.
Je n'aurai pas été le seul de mon âge à rechercher l'occasion de rencontrer l'un des deux génies, encore vivants qui plus que personne d'autre se sentaient atteints et exposés à être jetés du piédestal où à la gloire les avait installés, d'entendre de sa bouche ce qu'il redoutait et endurait, personnellement, ce qu'il entrevoyait pour l'avenir. Gounod était trop maître de lui-même pour se confier au ‘premier venu’ et malgré l’accueil bienveillant, cordial et confiant dont je fus l’objet dès ma première visite, je n’étais que cela quand je me présentai chez lui pour la première fois. Il était si sûr de sa maîtrise et de l’attraction constante que ressentait le public pour ses œuvres pour qu’il éprouvât quelque amertume!
En le quittant après la première visite, je ne ressentais plus ni gêne ni timidité. Charles Gounod m’avait reçu comme aurait reçu un dignitaire ecclésiastique un nouveau paroissien en visite de politesse ou en quête de conseils pour une affaire de conscience.’
(* La gloire de Meyerbeer, décédé en 1864, fut préservée de toute atteinte tant que le vieux maitre vécut.)

Tijdens zijn verblijf in Parijs woonde Van de Velde verschillende opvoeringen van werken van Jacques Offenbach bij en - opnieuw via Benoit - kwam hij er in contact met de Franse pianist-componist Charles-Wilfrid de Bériot (1833-1914):

‘Un aimable rappel de la part des de Bériot - où je restais un invité toujours bienvenu aux séances hebdomadaires de musique de chambre qui, malgré l'épidémie n'avaient cessé dans les salons de l'excellent virtuose-pianiste, me permettrait d'échapper un soir par semaine à l'atmosphère populaire des représentations du Théâtre de Montrouge. Je dus à une des lettres de Peter Benoit d'avoir appris connaître le pianiste de Bériot et d'être accueilli dans son petit hôtel de Neuilly par sa femme et lui-même en ami.
Il était le fils et enfant unique de la Malibran et du célèbre violoniste qui construisit pour elle le ravissant hôtel de la place d'Ixelles (Bruxelles) aujourd'hui agrandi et transformé en maison communale ! Ils y vécurent durant de nombreuses années. Je ne saurais exprimer de quel prix et de quel secours me furent à Paris, durant les mois que j'y vécus, ces soirées et la puissance esthétique que j'y goutai : celle de l'émotion qui délivre et transporte l'être au-delà de sa propre existence dans l'Inexistant, dans l'Infini, dans l'Éternel.’

Bron:
Léon Ploegaerts, Henry Van de Velde: les mémoires inachevés d’un artiste européen. Les mémoires (vol. 1), Brussel (Koninklijke Academie van België), 1999, p. 4-13.